Vendredi 6 mai 2016, par Isabelle Plumhans

La caverne du Kunstenfestivaldesarts

Il est des grottes dans lesquelles on se réfugie pour fuir le monde. Il en est d’autres où l’on se rassemble pour mieux l’y voir, mieux l’y réfléchir, mieux le sentir. Celle que propose, en ce mois de mai, le Kunstenfestivaldesarts est de celle-là. Plurielle, ouverte sur l’extérieur et sensible. Visite guidée.

Juillet 2015. A l’ombre de grands parasols blancs tendus sous les platanes du jardin Ceccano, les spectateurs du festival d’Avignon assistaient à une lecture-spectacle-débat de La République de Platon (relire notre focus), mythe de la caverne compris. Par cette démarche, Olivier Py, directeur du festival, et les metteurs en scène de la prestation, Valérie Dréville, Didier Galas et Grégoire Ingold, souhaitaient notamment réagir au problème de la surinformation. Ils rêvaient de former une assemblée quotidienne qui réfléchisse, hors de la violence rapide des médias et des lanceurs d’alerte, au monde de demain. Qui reprenne, à sa façon, et par les idées d’abord, les choses en main. Pari tenu, chaque jour, à midi ; cette caverne à ciel ouvert devenait celles de l’ouverture et du débat.

Mai 2016. Un autre festival, une autre caverne, une autre grotte. Mais une démarche impulsée par les mêmes énergies, les mêmes envies. Cette grotte, c’est celle voulue par les organisateurs du Kunstenfestivaldesarts qui, face à cette même surexposition médiatique, cette violence d’un monde qui effraie et contre laquelle il est tentant de se calfeutrer, ont eu à cœur de proposer un espace de rassemblement, un cocon sensible qui amènerait à repenser le monde, qui permette de stopper la boulimie d’information pour sortir de l’aveuglement qu’elle induit. Par les sens. Dans ce cas, la grotte-festival est le lieu qui fait communauté, lieu d’idée, lieu d’où voir le monde et où le monde se donne à voir. Aussi.

Un univers de sensible

Et le monde est vaste au Kunst ! Un monde notamment mené cette année par l’onirisme de deux artistes invités majeurs.

Le premier, Philippe Quesne, plasticien et scénographe, s’offre doublement au festival. Par son spectacle d’abord, La nuit des taupes - quand on vous parlait de grottes. En marge de ce spectacle, il a ensuite lancé une série d’invitations à d’autres artistes, de tout bord confondu - musique, danse, théâtre - qui viendront, dans la « grotte », le temps d’une soirée, faire vivre au public diverses expériences.


© Martin Argyroglo

Autre artiste invité, Apitchatpong Weerasethakul, réalisateur de l’onirique Oncle Boonmee primé à Cannes en 2010, dont le cinéma oscille entre réel et fantasmagorie, s’évertuant à appeler par l’image le beau, l’intérieur, l’unicité, la rêverie. Son art sensible est à (re)découvrir lors de la rétrospective qui lui sera consacrée lors du festival, en collaboration avec le Cinéma Galeries. Rétrospective doublée d’une exposition au même cinéma et triplée d’une performance scénique - une première pour le réalisateur - Fever Room, lieu d’expérimentation, images et fumées. Quand on vous parlait d’onirisme...


© Courtesy of Kick the Machine Films

De tout pour faire un monde

A côté de ces deux invités, le festival dévoile une programmation hétéroclite, mais forte. Une programmation qui donne le pouls du monde, comme il vit l’aujourd’hui. Et pour en parler, le KFDA parie sur quatre artistes émergeants, qui seront - et feront - la scène de demain.

Ce sera la Divine Comédie made in US de Richard Maxwell dans The Evening ; les tabous interrogés, enfants sur scène, Marc Dutroux en filigranes, du metteur en scène suisse allemand Milo Rau dans Five Easy Pieces ; l’après-Fukushima de Toshiki Okada dans Time’s Journey Trough a Room ; ou la recherche de vérité absolue, sous forme de procès mêlant politique judiciaire et social, d’Amir Reza Koohestani dans Hearing.

Ailleurs

Il y aura aussi ces artistes qui viennent de loin. Pour convier l’ailleurs, d’autres façons. Voyager. Politiquement. Socialement. Mais par le coeur, toujours. C’est le fil tendu de l ’édition. Des artistes du Moyen-Orient, comme le syrien Omar Abusaadsa qui interroge, via un individu plongé dans le coma, la situation de son pays dans While I was waiting. Ou l’égyptien Wael Shawky, présentant la dernière partie de son travail sur les croisades, conviant Damas, Alep et Bagdad en notre capitale. L’Afrique et l’Asie ne seront d’ailleurs pas en reste non plus : on y retrouvera le Maroc, tantôt dit par Bouchra Ouizgen et ou dansé chez Taoufiq Izzediou ; le Mozambique chorégraphié de Panaibra Gabriel Canda ; le Congo exposé de Sammy Baloji ; le buto asiatique de Takao Kawaguchi et le théâtre entre Japon et Pérou de Yudai Kamisato.

On le voit, le monde, sur la scène du Kunst, prendra parole autant que corps. Festival des oppositions, à côté de ces corps, il présentera aussi les non-corps, d’un théâtre de la dématérialisation et des nouvelles technologies - Climax of the next Scene de Jisun Kim et le theatre online de Web of trust de Edit Kaldor sont de ceux-là. Parce que le monde est connecté, et qu’il ne faudrait pas l’oublier, quand on veut s’y reconnecter. Reconnexion qui se fera dans la rue aussi, avec les propositions performatives in situ, envahissant l’espace public. Les installations paraboliques de Younes Baba-Ali sont de celles-là.

Et puis, parce qu’un festival se doit d’être une fête aussi, les after du Kunst raviront les noctambules, et permettront de poursuivre de belle façon les rencontres et interrogations, au centre du festival, transporté cette année aux Brigittines. Cher, cher, Time we share.

Isabelle Plumhans

NOTRE SÉLECTION

- La fête d’ouverture imaginée par Léa Drouet au skaterpark à côté des Brigittines, le 06/05 à 23h
- Le match sportif des malvoyants de Alessandro Sciaronni dans Aurora, les 11, 12, 13/05 à 20h30
- Les invitations de Josef Wouters à d’autres artistes à imaginer les infinis d’un décor dans INFINI, les 13 et 14/05 à 13 et 19h, le 15/05 à 13h
- Le buto réinventé de Takao Kawaguchi dans About Kazuo Ohno, du 14 au 19/05 à 20h30 sauf le 15/05 à 22h
- Les enfants sur scène et le sujet trash (l’affaire Dutroux) universalisé de Milo Rau, dans Five easy Pieces, les 14 et 20/05 à 18h, les 15, 16 et 21/05 à 18h et le 22/05 à 15h
- La nuit passée entre spectateurs et danseurs de Marten Spangberg dans Natten, les 13 et 14/05, de 23h à 5h30
- La musique qui embrasse la danse de Thierry De Mey dans Simplexity, les 20 et 21/05 à 20h30, le 22/05 à 15h
- La musique de Gershwin sublimée par les corps dansants de Thomas Hauert dans Inaudible, les 25, 26, 27/05 à 20h30, le 28/05 à 18h

INFOS PRATIQUES
Kunstenfestivaldesarts, du 06 au 28/05 dans divers lieux à Bruxelles

Centredufestivalcentrum et billetterie :
Les Brigittines, Petite Rue des Brigittines, 1000 Bruxelles | 02 210 87 37

www.kfda.be