Vendredi 16 octobre 2015, par Isabelle Plumhans

Une histoire de famille. Mais pas que.

En octobre, deviens spectateur activiste, sors des sentiers battus et tâte de nouveaux noms. Pour le bien du théâtre de demain.

Cher lecteur, je te préviens, cette fois, je vais un peu te parler de moi. Ou en tout cas de quelque chose qui compte pour moi. Pardon déjà. Ça ne durera pas trop longtemps, promis. Mais bon, du coup, je te tutoie, tu ne m’en voudras pas. Si je me livre, je vais pas mettre de vous entre nous.

Donc, je viens te parler d’un sujet qui me tient à cœur. Parce que, voilà, aujourd’hui, on est demain. Et aujourd’hui, demain, il se passe quelque chose d’important pour quelqu’un d’important pour moi. Je m’explique. Depuis des mois - des années presque - ce quelqu’un d’important pour moi porte un projet à bout de bras, progressivement soutenu par une bande de comédiens qui croient au projet aussi dur que lui. Projet qui se concrétise, enfin, sur scène, en ce milieu de mois d’octobre. Lui, je l’ai d’abord vu écrire, petit à petit, page après page, doucement au début, plus convaincu et remettant toujours son travail en question ensuite, l’ébauche d’une pièce. Petit à petit, cette pièce s’est concrétisée. Il a fallu alors se mettre à y croire un peu plus vrai, penser scénographie, mise en scène, jeu d’acteur, réécriture collective et de plateau. Un peu plus loin encore, budgets, lieux d’accueil, étapes de travail, lectures publiques. Toujours plus loin, encore, dossier CAPT à monter, à ficeler, à défendre. Encore, encore plus loin, toujours y croire, plus fort. Pour affronter les moments plus difficiles, les petits boulots à assurer, à côté, pour vivre, les répétitions tardives, les budgets à resserrer (parce que les budgets, ça se resserre, vois-tu, toujours. En particulier dans les domaines pas nécessaires, comme la culture), les appels répétés à la presse, les réservations qui ne décollent pas toujours comme on voudrait. Y croire, toujours plus fort, parce que ce projet est essentiel à montrer. Parce que cette belle bande a à cœur de dire, de défendre la pièce, son sujet, son travail.

Alors, oui, lecteur, si toi aussi tu as déjà monté un projet, ou assisté à un projet qui se monte, tu sais de quoi je parle. Mais parfois, c’est bien de répéter l’évidence. Que la jeune création, les premiers projets, celui-là et tous les autres, ce sont des aventures de doux dingues, de rêveurs idéalistes qui cumulent force de titans et persévérance sauvage. Que dans un monde qui doit fonctionner, être rentable et efficace, certaines, certains font encore le pari d’y croire, à la non-rentabilité absolue. De porter un projet à bras-le-corps, parce qu’il est plus important qu’eux, parce qu’il y a derrière le projet un propos qui doit être dit, donc entendu.

Le propos de «  C’est quand la délivrance  » - pièce de celui qui est important pour moi - c’est le chômage, et son impact social, intime, sur les jeunes générations. Pile dans l’actu. Parce que tu sais quoi, au moment où je t’écris, le site d’information Slate relaie une étude de l’université de Portsmouth selon laquelle il y aurait une corrélation entre une situation économique difficile et la hausse du suicide chez les jeunes dans une partie de l’Europe. Parce que la RTBF elle aussi annonce que la violence dans les bureaux d’Actiris est de plus en plus palpable, depuis les nouvelles réformes de chômage. Et des news comme ça, qui viennent de là ou d’ici, des situations vécues, au bar, chez l’épicier du coin, ou dans les silences des couples qui ne vont plus parce que le travail c’est pas ça, il y en a plein.

Voilà donc pour l’urgence à dire de cette pièce-là.

Mais les premiers ou jeunes projets portent toujours, quels qu’ils soient, une urgence de dire, un besoin, vital, de dénoncer, de montrer, de sensibiliser. Urgence et besoin qui se doublent souvent, malheureusement, d’une fragilité de moyens, d’un inconnu au monde professionnel, d’une légèreté des structures, d’une méconnaissance du système. Alors, pour ça, des lieux et des initiatives existent. La CAPT, conseil d’aide au projets théâtraux, par exemple. Né en 2007, ce conseil évalue les aides financières à apporter aux projets en cours. En gros, le conseil se réunit trois fois par an, et évalue, sur différents critères, les dossiers qui lui sont remis. Puis donne son avis au ministre compétent qui statue. A la candidature, des premiers projets, des seconds, des millièmes. Les premiers avec les premiers, tous les autres ensemble. Tout le monde espère tirer une part de gâteau, une petite enveloppe qui aidera, un peu, au projet proposé. Au final, pour les très nombreux appelés, trop peu d’élus, évidemment. Et des budgets rabotés régulièrement. C’est la difficile loi du pas nécessaire dans un pays à l’économie vacillante. Mais c’est toujours ça.

En ces mois d’automne d’ailleurs, plusieurs des premiers projets soutenus par la CAPT sont présentés dans les théâtres belges. Alors que Sophie Wanant a déjà montré son nécessaire et barré Ha Tahfénéwai en mars au National (qui sera repris là-bas en décembre) et le collectif Hop Ar Noz son Pénélope et les trois p’tits cochons en septembre au Théâtre de Liège, Plan Joker (Yvonne Charlot, cité Miroir), Eden Expérience(s) (Céline Ohrel, Balsamine), Les petits anges dans la boue (Jean Martinez, Rideau), Le tuba des pédiluves (Arthur Egloff, Varia), Reflet d’un banquet (Pauline d’Ollone, Théâtre de la Vie) et  LF Céline – Frangmentations 1 (Damien De Dobbeleer, Théâtre de la Vie) sont encore à applaudir.

Plus sensiblement humain, à côté de cette aide financière, il y a aussi les structures d’accueil, comme L’L qui - j’aime à le rappeler encore - fête cette année ses vingt-cinq ans d’accompagnement. On lui en souhaite autant à venir, parce l’accompagnement, il doit être logistique aussi. Et humain. Même si c’est pas toujours rose d’accompagner du pas nécessaire, dans un monde où l’essentiel est Capital.

Question support, il y a enfin les initiatives tremplin. Comme le festival Tremplin, pépites & Co. du Théâtre de L’Ancre, à Charleroi, qui a fait connaître le Signal du Promeneur du Raoul collectif - dont on retrouvera la nouvelle création au National en novembre -, le Manneke de Pierre Wayburn ou Je vous ai compris de Sinda Guesab, Valérie Gimenez et Samir Guessab. Ou le festival Emulation, à Liège. Ou encore le festival Courants d’Airs, à Bruxelles. Tous, ils sont là pour soutenir et montrer le travail des jeunes qui sortent des écoles, aux quatre coins du pays. Des rêves plein la tête, et l’envie de montrer ce qu’ils veulent dire.

Et puis, enfin, surtout, dans cette chaîne d’aide à la jeune création, il y a toi, lecteur et spectateur. Parce que toi, aussi, tu peux faire quelque chose pour la jeune création. Et cette chose, elle est très simple. Il suffit que tu ailles la voir, la jeune création. Que tu fréquentes ces théâtres qui la soutiennent. Que tu t’intéresses aux noms pas connus sur les programmes des théâtres. Les pièces qui n’ont pas encore de presse. C’est toi qui en écrira le futur. L’écho que tu en feras si tu as aimé aura des petits, essaimera. Alors, oui, il est toujours plus tentant (pour toi comme pour moi, je te le concède), de pousser la porte d’un spectacle souligné trois étoiles par l’une ou l’autre critique journalistique. Il est plus confortable d’aller voir la Xième représentation de la pièce d’un metteur en scène archi-connu qu’une quelconque création au titre pas toujours accrocheur, qui aura les défauts de sa jeunesse et de sa fougue. Mais derrière les carrières de Pommerat, Peeping Tom, De Keersmaeker, Murgia, Dekonninck, Roussel, Delaunoy, Dussenne, Ministru et tous les autres, il y a forcément eu une première fois. Des premiers spectateurs qui y ont cru. Qui ont applaudi, aimé, partagé. Alors, vas-y, prends des risques. Parce que tu ne risques rien. Juste d’aimer. Ou pas. Et de vouloir recommencer. Allez, je te laisse, j’ai un frère à aller applaudir, et plein d’autres jeunes spectacles à découvrir. Et puis la prochaine fois, promis, je la joue classique et moins perso.

Isabelle Plumhans

Les premiers projets

*** C’est quand la délivrance de Laurent Plumhans, jusqu’au 24/10, Théâtre le Public | www.theatrelepublic.be
*** Les petits anges dans la boue de Andres Caidedo, mes Jean Martinez, du 17/11 au 05/12, Rideau de Bruxelles | www.rideaudebruxelles.be
*** Reflet d’un banquet de Pauline d’Ollone, du 01 au 12/12, Théâtre de la Vie | www.theatredelavie.be
*** Ha Tahfénéwai de Sophie Warnant et Romain Vaillant, du 01 au 05/12, Théâtre National | www.theatrenational.be
*** Plan Joker d’Yvonne Charlot, du 02 au 05/12, cité Miroir (Liège) | www.citemiroir.be
*** Eden Expérience(s) de Céline Ohrel, du 17 au 25/03/16, la Balsamine | www.balsamine.be
*** Le tuba des Pédiluves d’Arthur Egloff et Damien Chapelle, du 12 au 21/04/16, Théâtre Varia | www.varia.be
*** LF Céline – Frangmentations 1 de Damien De Dobbeleer, du 12 au 23/04/16, Théâtre de la Vie | www.theatredelavie.be

Les suites

*** Une création du Raoul collectif, du 10 au 28/11, Théâtre National | www.theatrenational.be

Les festivals

*** Tremplin, Pépites & Co., octobre 2015, Théâtre de l’Ancre | www.ancre.be
*** Festival Emulation, avril 2016, Théâtre de Liège | www.theatredeliege.be
*** Festival Courants d’Airs, avril 2016, conservatoire de Bruxelles | www.conservatoire.be