Vendredi 1er décembre 2017, par Didier Béclard

Tranches de vie kinoises et belges

Auteur et comédien, David Minor Ilunga incarne seul une série de personnages qui dressent le tableau, entre envie de là-bas et besoin d’ici, d’une pérégrination, aussi lucide que dérisoire, entre Afrique et Europe.

Sur le plateau, juste une chaise sous une lumière blafarde avec en fond sonore des commentaires de match de football. « Bagnole menottes poste de police. Ça a commencé comme ça, m’dame. » Le Congolais arrêté en situation irrégulière à Bruxelles explique à l’avocate commise d’office son arrestation par la police et son interrogatoire : deux policiers façon « Starsky et Hutch » qui se distribuent les rôles, Tom, le méchant flic, Marcel, le gentil. Ils le soupçonnent d’être un terroriste potentiel.

Les mêmes questions se répètent et les policiers enragent de n’avoir rien sur lui, rien dans la base de données, pas de message suspect sur le portable. Et lui garde le silence depuis deux jours. Ils ont juste trouvé un (petit) canif qui devient « une arme blanche aux mains d’un black ».

Mais regarder un match de foot, le quart de finale de la coupe d’Europe qui oppose la Belgique au Pays de Galle, entre deux flics - « je n’aime pas regarder le foot tout seul » -, les menottes aux poings, c’est top mais c’est trop dur. L’adrénaline monte, et lorsque la frappe de Nainggolan envoie le ballon dans la lucarne, il explose de joie. Un interrogatoire entre supporters des Diables rouges se présentait sous les
meilleurs auspices mais les Dragons ont pliés les Diables, 3 – 1, et là, les flics ont plus les boules que deux heures plus tôt. A défaut d’être terroriste, le Congolais est à tout le moins clandestin.

Direction le centre 127 bis et l’entretien avec cette avocate peu motivée (incarnée par une voix off). Récit pétri d’humanité et de dérision, « Délestage »détaille la vie quotidienne au bled, Kinshasa, Kin pour les initiés. Délestage parce que tout y est discontinu, sans garantie, aujourd’hui les enfants mangent, demain ce sont les parents, l’électricité trois jours sur sept, quand on a de la chance, et ne parlons pas de l’eau potable...

David Minor Ilunga, auteur et comédien, parle de son pays, des blancs qui y sont pour faire du business ou de l’humanitaire, de la Cour pénale internationale, des casques bleus, des enfants nés de viols. « Oui, m’dame, à Kinshasa, la mort est un état civil qui nous colle à la peau et on s’en moque. »
Plutôt que de pleurer sur son pays qui va mal, l’acteur choisit de rire de ce qui le persécute, avec une joie communicative.

Mais David Minor Ilunga, débordant d’énergie pour camper tous les personnages, n’en reste pas là, il livre également le portrait d’une Europe, et plus particulièrement d’une Belgique, dans ses rapports avec les ressortissants des anciennes colonies qui viennent « juste emprunter un peu d’oxygène ». Les voitures à deux places, des voitures d’égoïstes qui ne veulent pas partager leur confort, Matongé c’est Ixelles mais colonisée par les frères de Mobutu...

N’allez pas au Congo, c’est galère, n’allez pas en Europe, c’est galère, et accrochez-vous à l’article 15, le seul article de la constitution kinoise de la rue : « Débrouillez-vous ».

« Délestage » mise en scène de Roland Mahauden, jusqu’au 23 décembre au Théâtre de Poche à Bruxelles, 02/649.17.27, www.poche.be.