Lundi 12 janvier 2015, par Vercez Estelle

Tête-à-tête avec moi-même

C’est un beau moment de théâtre qu’Antoine Laubin et Thomas Depryck nous offrent en ce début d’année au Rideau de Bruxelles. Adaptation du roman de Patrick Declerck, Démons me turlupinant nous invite à voyager à travers le récit fragmenté de cet écrivain et psychanalyste belge, lauréat du prix Rossel 2012. Un spectacle intense à la mise en scène judicieuse et au texte, empreint du « désespoir joyeux » propre à son auteur, que portent avec talent Hervé Piron et Brice Mariaule.

Sur scène, des livres à n’en plus finir. Des livres entremêlés, comme autant de souvenirs passés. Des livres cornés, comme autant de souvenirs écorchés. Des livres que deux hommes s’appliquent progressivement à ranger dans les rayons d’une majestueuse bibliothèque. Au fil de leurs mouvements, les fragments d’une histoire s’articulent. Les deux comédiens nous relatent, pêle-mêle, les souvenirs d’un homme, assemblant soigneusement chacune des pièces du puzzle de sa vie…

Cet homme, il s’agit de Patrick Declerk lui-même. De Bruxelles à Ostende, en passant par Briançon, on y découvre le récit d’une jeunesse baignée dans la névrose familiale, d’un âge adulte passé à « penser » les blessures ; une association libre de morceaux de vie décortiqués, semblable à une véritable cure psychanalytique.

Les comédiens Hervé Piron et Brice Mariaule prennent à tour de rôle la voix de l’écrivain. De ses extraits les plus cocasses à ses épisodes les plus graves, le texte déborde d’un humour cinglant. Fidèle au roman, il se caractérise néanmoins par une écriture très dense. Si les deux comédiens l’interprètent avec beaucoup de verve et une belle complicité, les chapitres s’enchaînent à un rythme souvent trop rapide pour qui voudrait mieux apprécier l’intensité de certains passages – ou tout simplement reprendre son souffle. Ceci étant, Démons me turlupinant nous captive par sa mise en scène, judicieuse mise en abyme de l’exercice de psychanalyse auquel nous convie Declerk. Au gré du méticuleux rangement des livres-souvenirs entrepris par les deux comédiens s’esquisse en effet un dessin intriguant, chaque livre portant sur sa tranche le fragment d’un tableau qui, jusqu’au bout, tient le spectateur en haleine avant de finalement donner tout son sens au long « ouvrage » des deux hommes…

Spectacle drôle et poignant, Démons me turlupinant nous touche et nous questionne à notre tour. Que signifie « être soi-même » ? Que sont ces « démons » qui nous hantent ? Si le côté « psy » de la pièce pourrait en effrayer certains, celle-ci n’en demeure pas moins le récit d’une vie fascinante, porté avec justesse et entrain. Libre à chacun d’affronter ses démons ou de les fuir. Antoine Laubin et Thomas Depryck ont décidé de les inviter sur les planches du Rideau.

Estelle Vercez