Vendredi 30 septembre 2022, par Léa Dedeurwaerder

La fille du Sacrifice

Le profane face au sacré, la religion face à la spiritualité, la fille face aux hommes.

Les hommes n’ont engendré que des hommes, de Mahomet à Abraham, de Abraham à Isaac de Isaac à sa progéniture infinie. Personne ne s’en est rendu compte. Quelque chose bloque dans l’équation, quelque chose dissone. Ça en dissone à en faire trembler les chaises du petit studio de l’Océan Nord.

Bercé par de grands yeux noisettes qui nous emmènent de la Tunisie à Jérusalem en passant par Schaerbeek et sa pluie qui pleure les femmes oubliées de la généalogie de Jésus, « La fille du Sacrifice », c’est tout ça et bien plus encore. C’est un cœur jeune en perte de repère qui reprend pouvoir sur sa foi, son corps, son âme, son temple sacré. A mesure que la comédienne se lave, nous nous lavons avec elle. Véritable prouesse scénique, nous sommes en constante introspection avec elle.

« La fille du Sacrifice » c’est aussi un phrasé technique, proche de la citation, qui laisse part à la quotidienneté du langage ; l’un dissimule l’autre, le premier reprend sa force, l’autre disparait. Comme un jumeau, un double, un reflet dans le miroir que l’on a du mal à concilier - comme la rencontre des deux mondes, Orient et Occident.

C’est aussi un regard, tantôt enfantin, naïf, tantôt habité d’une percutante sagesse ancienne sur son intime. Le voile se lève, mais pas celui utilisé pour dissimuler ses cheveux, celui qui occulte nos visions, celui qui assied nos certitudes. Tout n’est que croyance, que fiction, nos fondations sont mensonge. La persuasion que la foi est bâtie sur la peur et l’ignorance amène à l’extase du libre arbitre ignoré, perdu, retrouvé et enfin apaisé.

« La fille du Sacrifice », c’est l’odeur de l’apocalypse, mais une apocalypse qui n’aurait rien à voir avec des villes réduites en cendres, une apocalypse qui serait faite de la rencontre du beau, de l’intense, du rare, du sublime, la révélation et l’acceptation du nouveau récit qui nous reste encore à écrire.
Le tout souligné par la création sonore et lumière, toute en subtilité de Damien Petitot et Eloi Baudimont.
Un grand moment.