Vendredi 2 juillet 2021

Interview de Sarah Siré, pour le spectacle ’Villa’

Au théâtre de la Vie, Sarah Siré revient sur la dictature Pinochet avec un spectacle unique qui évoque la « Villa Grimaldi », théâtre de tortures et d’exterminations. À partir d’un texte de Guillermo Calderon, auteur chilien, le passé est mis en question sous le regard de trois femmes.

Sarah, pourquoi cet intérêt pour le Chili et la période Pinochet aujourd’hui ?

Sarah Siré : Je travaillais sur une adaptation de « La stratégie du choc » de Naomi Klein, une journaliste, essayiste et activiste militante canadienne qui a écrit « No logo ». Dans « La stratégie du choc » elle démontre comment on utilise des chocs pour faire passer des lois néo-libérales de façon rapide et efficace alors que la population est sous un choc soit militaire soit naturel comme un tsunami par exemple. Ce qui s’est passé au Chili, dans les années 60 - début 70, c’est qu’un président socialiste a été élu, alors qu’une grande partie de la population était contre suite à la nationalisation des entreprises, et bien qu’il ait donné à manger à des écoliers alors que le Chili était en proie à de graves problèmes de malnutrition. Des forces de droite se sont mobilisées et un coup d’état, on le sait aujourd’hui, a été largement soutenu par les États-Unis. En travaillant sur « La stratégie du choc » avec mes étudiants, je me suis demandée si des écrivains chiliens parlent aujourd’hui de cette période. Nous avons découvert cette pièce de Guillermo Calderon sur la Villa Grimaldi qui revient sur ces années de dictature. Il faut garder à l’esprit que la démocratie n’est arrivée au Chili que dans les années 90 et l’actuelle Constitution est toujours celle qui a été faite sous Pinochet. Cette pièce parle du contexte chilien mais elle résonne avec des questions contemporaines en Europe. Que fait-on des lieux de mémoire ? Une villa Grimaldi, théâtre de tortures, doit-on la garder ? En faire un musée ? Faut-il détruire le passé ? Faut-il oublier ? Au Chili, la question de la réhabilitation les lieux de mémoire s’est posée. Il faut être conscients que les gens qui ont été torturés dans les années 70 croisent leurs bourreaux dans la rue, dans les bureaux de poste. Il y a eu une loi d’impunité...

Et le lien avec notre actualité ?

Sarah Siré : Je vois le lien avec la question des violences policières aujourd’hui, avec la légitimation de ces violences par des états en place. En France, le Conseil constitutionnel a reconnu que l’ENA (Ecole nationale d’administration) était illégale. Il y a aujourd’hui des formes de violences instituées illégales et les gens s’habituent à la violence. Des jeunes ont fait une rave party et l’un d’eux est reparti avec une main en moins... Tout cela parait normal. Cela m’inquiète et j’ai envie de raconter qu’il y a peut-être des possibilités de construire un monde plus positif. « Villa » parle de ces histoires mais le principe de la pièce - le fait de mettre des femmes en discussion pour trouver une option viable, intéressante, revendiquée par toutes et défendue par toutes est une façon d’essayer de construire du vivre ensemble de façon positive car ce qui est en jeu, c’est la question démocratique du vote. Dans « Villa », on doit voter pour l’avenir de la villa Grimaldi. Faut-il la reconstruire à l’identique (car elle a été partiellement détruite) ou en faire un musée ? Ces femmes n’arrivent pas trouver de solution à la majorité des votes. Or le vote à la majorité concerne aussi notre démocratie et pose problème. Quand un président est élu, comme en France, à 60% mais par 20% des votants, il ne représente pas grand monde, ce qui veut dire qu’il y a sur le terrain une forte opposition qui n’est pas reconnue. Le fait de ne pas être entendu par ce vote institué amène des montées d’extrême-droite par exemple. Alors qu’il y a d’autres modes de scrutin possible pour faire entendre des options différentes.

Dans les interviews de Calderon, on peut lire « La villa telle qu’on la présente maintenant n’est pas acceptable car c’est devenu un lieu fleuri présenté comme agréable, ce qui ne reflète pas la tristesse de l’endroit ».

Sarah Siré : Les trois femmes débattent de cela... Et il n’y a pas de solution. Elles se dirigent bien vers une option à la fin mais ce n’est pas un oui affirmatif, c’est une option « en cours » et c’est pour cela que j’aime cette pièce qui est discursive. On débat sans être dans une option défendue. Calderon ne donne pas de solution. C’est le principe de la réflexion, de la pensée qui m’intéresse, comment on peut être actif dans le fait de construire des idées ensemble et surtout d’arriver à entendre la contradiction, à argumenter. Je trouve que c’est fondamental.

Quelle est la mission des artistes par rapport à des témoignages comme ceux-là ?

Sarah Siré : Guillermo n’a pas écrit pendant la période où cela s’est passé. Ce qui veut dire que l’on peut très bien parler de choses que l’on n’a pas directement vécues et c’est tout l’intérêt. Dans les familles, ce sont souvent les petits-enfants qui règlent les problèmes des grands-parents dans le sens où quand on est trop impliqué dans une situation, on a besoin d’une certaine distance pour la comprendre. Les artistes peuvent avoir cette distance et faire le travail de médiation. Je peux parler du Chili sans être chilienne.

Calderon a choisi de mettre en scène trois femmes. C’est emblématique ?

Sarah Siré : Il y a un twist dans la pièce que je ne peux pas révéler mais qui justifie que ce soit trois femmes d’une façon très pragmatique. Les spectateurs doivent venir pour comprendre mais au-delà, il y a la présidente Michèle Bachelet, une femme qui a été torturée ainsi que sa mère. Son père, quant à lui, a été assassiné car en tant que militaire, il refusait le nouvel ordre de Pinochet et elle, Michèle, a été présidente de la république chilienne. Il y a donc une forme de voyage dans l’histoire du Chili, partant d’une situation éteinte où on est empêché de penser au niveau politique, physique dans le monde pour aboutir au poste de pouvoir le plus élevé. Avec ma collaboratrice, Maria José Parga, on se disait que Michèle Bachelet, c’est la maman, la mère des Chiliens. Il faut savoir que « Villa » au départ est un diptyque : c’est « Villa + Discurso » et « Discurso », c’est un monologue de Michèle Bachelet. Elle y parle pas mal de son sourire qui est sa force positive mais elle-même est controversée... On lui reproche de n’avoir pas fait une politique de gauche... Il y a une alternance maintenant entre une gauche centriste qui passe la main à la droite au pouvoir. Michèle Bachelet a déçu les Chiliens.
Dans « Villa », trois femmes discutent pour prendre une décision. Ce qui me plait, toujours dans l’idée de construire des imaginaires positifs, c’est qu’on a rarement l’opportunité de voir des femmes prendre des décisions au théâtre. C’est une façon de parler de féminisme sans en parler...

Propos recueillis par Palmina Di Meo

« Villa » de Guillermo Calderon, mis en scène par Sarah Siré, avec Sophie Jaskulski, Mathilde Lefèvre et Sarah Siré, joué au Théâtre de la Vie jusqu’au 3 juillet 2021.