Vendredi 20 septembre 2019, par Dominique-hélène Lemaire

Genre : thérapie familiale

Un exercice pratique efficace de role-playing, certes, du vrai théâtre ? Non. Très utile malgré tout pour ouvrir aux trentenaires en crise de couple un terrain de discussion qui ressoudera, peut-être, leur relation effilochée par le temps, ce grand ennemi, grâce à une communication retrouvée.
Heureux qui communique !
C’est le bienfait de cette soirée. Et pourquoi ce titre ronflant, "Peter, Wendy, le temps, les autres " ? Alors qu’il s’agit prosaïquement de « Charlotte vs Charles, et le verbe aimer… » Et le décor de l’affiche est-il juste un fantasme, une image des relations amoureuses au 21e siècle ?


© Céline Pourveur

Le décor de la pièce est lui constitué d’une méchante table et de deux chaises, d’un vague placard avec des dossiers, à peine un appartement, pas l’ombre d’un chez soi ! Les deux comédiens sont habillés et coiffés façon génération Y. De prime abord, ils sont tous deux charmants, par leur vulnérabilité. Quoique… C’est la dame qui mène véritablement la danse, une danse qui a tout l’air d’une mise en demeure ou d’un électrochoc. Camille Sansterre sait rougir et trembler d’indignation, Ilyas Mettioui est cool et indémontable, presque jusqu’à la fin.


© Alice Piemme

Le début de l’histoire rappelle le jeu « il ? ou elle ? » que l’on a coutume de jouer aux anniversaires de mariage. Mais ils ont tout faux  : jamais ils n’ont vécu ensemble la même chose. Passé ce trop rapide prélude, Charlotte en vient à la question cruciale qu’elle brûle de poser. Une sorte de quitte ou double… sur fond de tranche de vie qui décrit un parcours complètement banal, un quotidien triste et morne où l’homme est dépassé.
Ils jouent sans fard et sans filtre. C‘est que le texte de Paul Pourveur est fort dépourvu d’intérêt, il n’a rien de la force d’un Samuel Beckett qui fait réfléchir sur les questions existentielles. Pauvre et indigeste comme ce plat de chicons au vinaigre dont on ne cesse de parler. Et quand la jeune femme se prépare à poser sa question de vie ou de mort du couple, Charles, son infortuné compagnon, est bien incapable de répondre. Tant leurs attentes, leurs conceptions de la vie et leurs profils sont opposés. Touchant quand même ! C’est elle qui instruit visiblement le dossier. Il ne s’agit pas de joyeuses agapes, même si la structure de la pièce s’ingénie à suivre pas à pas les étapes d’un repas imaginaire.


© Alice Piemme

Pour mieux faire percevoir leurs positions si diamétralement divergentes, chacun tend un miroir à deux inconnus, faussement choisis au hasard dans le public. Et à chacun à leur tour, de lire un extrait d’une longue déclaration d’amour trouvée dans Lettre à D. Elle est signée André Gortz, essayiste et philosophe, qui l’a adressée à sa femme après près d’un demi-siècle de vie commune. Charlotte et Charles perçoivent en effet André et Dorine comme leur idéal amoureux. Ils se réfèrent à cette lettre comme une sorte de contrat de vie, basé on vous le donne en mille, sur le suicide amoureux ! Ensuite les invités sur les planches sont priés de reformuler certaines répliques marquantes des comédiens pour mieux faire passer le message : le procédé est vraiment lourd.


© Alice Piemme

Et pourtant, on s’aperçoit - quand les deux seniors (chaque soir différents) sont invités à conter leur propre histoire de vie commune - que la complémentarité est sans doute l’un des meilleurs ciments d’une relation amoureuse durable. Jeu croisé  : la femme répercute les aises et malaises de Charles tandis que l’homme reflète les attentes concrètes de Charlotte. Tout ne tient donc pas à la formule de John Gray  : « Les hommes viennent de Mars les femmes de Venus », autrement plus drôle, et certainement aussi percutante !

En deuxième partie du spectacle, les deux seniors triés sur le volet partagent, librement et chaleureusement leur 50 ans de vie ensemble ou pas. Ce soir, ils font preuve de tact et d’humour : les vrais bons ingrédients  ? Mais il ne s’agit toujours que de témoignages, … pas vraiment du théâtre. par contre, ils font partie des 7 milliards d’humains à la recherche de l’amour perdu ou retrouvé…
Celui que l’on réinvente sans cesse.
Ils ont pris à cœur le temps de transmettre leur vécu, c’est leur force et leur fierté.
Mais qu’est-ce que la jeunesse des baby-boomers a à voir avec les désenchantements chroniques de celle du 21e siècle ?

Dominique-Hélène Lemaire