Samedi 15 décembre 2012, par Palmina Di Meo

Du rêve à la réalité du cinéma de banlieue en un one-woman-show

Belle prestation sur la scène de la Clarencière pour Assiya El Mhaier. Une heure trente, top chrono, elle nous tient en haleine. On ne s’ennuie pas une seconde. Calembours, clins d’œil, numéros de cabaret, nostalgie et rêveries sont les ingrédients de cette soirée qui sur un ton de comédie veut conjurer le goût amer de l’impossible rêve hollywoodien. Mais pas question de se résigner et si on n’a pas les cheveux platinés ni les moyens de partir en Amérique, eh bien on fera son ciné... dans son quartier. Sauf que du rêve à la réalité, il y a un abîme d’obstacles à surmonter. Le show fonctionne, trop bien pour susciter une véritable réflexion, et le rythme enjoué sans vraies respirations bloque parfois l’émotion au détriment de l’efficacité.

Car elle déborde d’imagination la jeune Shéhérazade dans les confins de sa petite chambre. Mais, en banlieue à Cliché-sous-bois, on a beau porter un joli prénom qui prédestine à inventer de belles histoires, le talent consiste surtout à astiquer pour trouver à se marier et "Dieu te préserve de la beauté Shéhérazade !", le tiercé "mariage, ménage, maternité" est le seul pari gagnant. Alors on apprend à se battre pour se donner les moyens de rêver. Pour quitter son HLM et son boulot à l’hippodrome, parviendra-ton à tronquer le jeu ? "Avez-vous remarqué qu’au Scrabble "mariage a le même nombre de lettres que mirages" ? Quand on aime jongler avec les mots, on s’ingénie à refaire le monde dans un scénario policier, par exemple, qui pourrait bien s’envoler vers d’autres destinées. Si ce n’est que la réalité, toujours elle, a vite fait de vous coincer et l’intrigue consiste à s’en moquer.

C’est un one-woman show plein de fraîcheur et de peps que nous propose la talentueuse Assiya El Mhaier sous la plume de Souad El mesbahi. Et lorsqu’en escarpins et boa roses, dans son décor radicalement minimaliste, elle s’y voit en Marylin ou Lisa, à New York ou à Hollywood, valise bouclée, pied levé sur son bureau d’un demi mètre carré seul témoin de toutes ses peines, on se surprend à revivre nos propres rêves d’adolescence...
Boris Vian, l’autre rebelle, l’avait chanté lui aussi : 
"Ne vous mariez pas, les filles, ne vous mariez pas 
Faites plutôt du cinéma"
Comme dans la fable, Shéhérazade en fera, du cinéma, envers et contre tous, mais le chemin de l’émancipation est long et l’on reste sur sa faim... tout comme elle, captive du processus créatif. Les intermèdes musicaux, les "numéros", chansons de Sinatra et Marylin, nous éloignent des tracas de la belle Assiya et de son propre cinéma qui valent pourtant bien le détour car elle sait le croquer son univers étriqué.

Palmina Di Meo