Samedi 13 mai 2017, par Isabelle Plumhans

D’arts et d’autres

Le joli mois de mai est là, et avec lui, les perspectives théâtrales les plus belles.
En effet, comme chaque année, le Kunstenfestivaldesarts annonce le retours des beaux jours dans notre capitale avec ses propositions artistiques les plus variées. Un évènement qui fait part belle aux mélanges des genre, cette année plus encore qu’à l’habitude.
Décryptage sous forme d’en-cas forcément restrictif.

Par Isabelle Plumhans

L’époque est aux mots. De haine. Discours revanchards, prises de positions extrêmes, les mots se font alors violents. Mais révèlent leurs lacunes. Aussi. A l’ère du tout au marketing et à la pub, ils se font slogans populo-publicitaires de nos vies en grands écrans. Dans tous les domaines. Il est d’ailleurs des spécialistes qui dissèquent les discours de nos politiques, les estimant creux. « Les mots que l’on dit ne disent pas grand-chose », chantait dans son dernier album Nicolas Michaux. Ce constat l’honore. Et dit notre société marketée en creux.

Résilience et militance, pour contrecarrer le mouvement, l’époque se rêve en mouvement ; bouger, changer sont des essentiels en périodes de crise. Le théâtre, reflet de nos envies n’échappe pas à la règle du mouvement. En marche, semble-t-il nous dire. Ensemble, et dans nos différences. Une optique cinétique et ouverte que nous offre à voir, cette année encore, le Kunstenfestivaldesarts. Peu de théâtre de mots, beaucoup de théâtre en mouvance, recherches, danse, performance. Et mixité riche.

Le centre du festival qui cette année joint ses forces à celles du Wiels et du dixième anniversaire de celui-ci. Musée qui propose, pirouette énigme et sarcastique, « The Absent Museum ». Soit une exposition qui investit à la fois les murs du Wiels, mais aussi ceux du Brass et du Métropole voisins. Ouverture du prochain musée d’art contemporain de la ville dans les locaux de Citroën, au centre-ville, en ligne de mire, l’exposition pose la question d’une institution telle que celle-là dans une ville telle que Bruxelles. Un questionnement entre micro et macro, histoire d’une ville – capitale de l’Europe- et interrogations des artistes. Exposition en forme de questionnement aussi sur l’hybridation des arts.
Dans le cadre de celle-ci, une performance de l’artiste Nastio Mosquito. Qui proposera une visite guidée de cette dernière « The guided tour once we shared consequent masturbation », mélange d’art et de politique. Le spectacle de cet artiste, à la fois vidéaste, performeur, poète et musicien interroge les notions même d’identité. Le langage lui-même aussi, et son autorité, tant sur l’art que sur la politique.
Toujours au Wiels, Otobong Nkanga, performer et plasticien (installation, photo, dessin, sculpture) se proposera lui d’interroger la notion d’étranger. Forget me Not, c’est le myosotis, qu’on trouvera dans son installation performance. Une œuvre qui questionne la résilience culturelle et la disparition par assimilation. A l’heure où bougent les peuplent, où migrent les gens, à l’instant où on interroge les frontières – certains se proposant de les rétablir, la réalité en étant la disparition, la question mérite ô combien d’être posée. A 15 heures, tous les jours, pour donner vie à ce tableau plastique, un performeur y prendra place pour un acte scénique de 10 minutes. De la vie au milieu de l’ailleurs.

Avec Within, Tarek Atoui, artiste et facteur d’instrument, explore les sons et leur perception non commune. Son travail de musicien croise en effet cinétique et acoustique. Ses instruments, qu’il invente, seront exposés dans un lieu-atelier, où il se mettra aussi en recherche. Là, il proposera, parenthèse légère, des massages musicaux au spectateur. L’autre pan de Within, ce sont des concerts explorant les liens entre les sons et les espaces. Invitation à la rencontre, une fois encore, puisque le KFDA et l’artiste invitent une série de musiciens bruxellois à jouer sur ces instruments inventés, au cours de différents concerts.

Performatif mais pas que
A côté de ces investigations-installations-expérimentations performative, les corps auront eux aussi belle place dans l’espace du Kunst. Pierre Droulers, notamment, viendra y présenter un livre comme un témoignage de ses quarante ans de carrière, Dimanche. Le livre, déposé en trente exemplaires sur des tables, est proposé en installation artistique à la dissection poétique et littéraire du public. Et, le 14, il sera mis en espace et en temps par des artistes invités. Boris Charmatz quant à lui présentera sa danse de nuit un peu partout dans la ville, qui dira l’urgence de se réapproprier l’espace urbain. Véritable guérilla artistique et mouvante, il dira l’importance de faire acte dans le réel. Ici, maintenant. Concrètement.

Puis, que les puristes se rassurent. Les mots qui peuvent malgré tout dire parfois beaucoup et bien, s’inviteront également durant ce mois de mai artistique. Le burlesque de l’Amicale de Production, avec On traversera le pont une fois rendu à la rivière. Une pièce qu’on pourra voir sur place (au Varia) ou entendue à la radio, aussi. Un spectacle participatif qui parle de l’individu dans le groupe. L’excellent Milo Rau, à qui on doit le percutant Five Easy Pieces, présenté l’an dernier au même endroit -et repris dans la programmation du National la saison prochaine, est présent de nouveau. Il revient avec la troisième partie de sa trilogie européenne entreprise au KFDA en 2014 avec The Civil Wars, puis en 2015 avec The Dark Ages. Ici, avec Empire, il questionne la place de l’identité de l’étranger dans l’Europe. Europe d’hier et de demain, celle d’aujourd’hui, aussi, trouveront écho sur sa scène.

Fuir la normalisation, accepter l’autre, l’étrange, l’autrement, en soi et dans ses sphères de vie. Incarner, toujours plus, dans nos corps qui fuient quelquefois nos vies. Voir autrement, voir plus loin, voir demain.
Voici ce que le Kunstenfestivaldesarts cru 2017 propose. Oh, je sais, vous allez me dire que c’est bateau. Moi je vous répondrai que c’est beau. Et que c’est déjà ça.
Alors, allons-y. Et vivons-le.
Il en restera toujours quelque chose après. Ne serait-ce que dans ces conversations échangées, ces papotes improvisées, ces rêves de l’après. Dans les yeux, le cœur et la vie.

ENCADRE

The Absent Museum, jusqu’au 27/05, Wiels
Nastio Mosquito, The guided tour – Once we shared consequent masturbation, tous les jours sauf le lundi, 15h, Wiels
Tarek Atoui, Within, l’exposition, au Palais de la Dynastie, tous les jours sauf le lundi, de 12 à 20h et concert les 19 et 26/05, à 21h, à Bozar.
Pierre Droulerss, exposition du 16 au 20 puis du 24 au 27/05, 16 à 20h30 sauf le samedi, 14 à 18h, au Wiels, book performance au même endroit, le 14/05, de 12 à 0h.
Milo Rau/International Institute of Political Murder, Empire, du 18 au 21/05, à 20h sauf le dimanche à 15h, KVS Bol
Antoine Defoort, Julien Fournet, Mathilde Maillard et Sébastien Vial/L’Amicale de Production, On traversera le pont une fois rendu à la rivière, du 23 au 27/05, à 20h30, sauf le 25, à 18h, au Varia et chez soi : www.on-traversera-le-pont-une-fois-rendus-a-la-riviere.com

PS : La sélection faite ici est hautement parcellaire et ne reflète que peu l’extrême richesse, forme, nationalité et thèmes, des spectacles proposés au festival. Nous vous recommandons donc chaudement de visiter leur site ou de vous procurer un des programmes-bibles disséminés un peu partout en ville. Et de faire votre menu, alléchant et varié. Bon appétit !
www.kfda.be

Crédit photo BeniaminBoar