Comme La Hache Qui rompt La Mer En Nous

Bruxelles | Théâtre | Théâtre de Poche

Dates
Du 12 janvier au 2 mars 2019
Horaires
Tableau des horaires
Théâtre de Poche
Chemin du Gymnase, 1 A 1000 Bruxelles
Contact
http://www.poche.be
reservation@poche.be
+32 2 649 17 27

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Comme La Hache Qui rompt La Mer En Nous

Voilà deux amis d’enfance. De parents ou de grandsparents
venus d’ailleurs. Ils sont nés et ont vécu dans
la même ville cosmopolite d’un pays d’Europe. Ils ont
fréquenté les mêmes écoles et se retrouvent à l’âge
adulte.
C’est le moment de se dire, de se parler enfin et de
remuer ce qui fâche : les identités, les appartenances
religieuses et culturelles, les choix de vies, de langues, de
conjoints et de territoires, confrontation sur leurs histoires
singulières, mais qui révèle d’autres incompréhensions,
dissensions, griefs, ressentiments, voire des haines
longtemps enfouies.
Tragédie qui montre deux personnages pris dans des
toiles d’araignées sociales, ethniques, religieuses, … et
qui malgré l’amitié et la tendresse qu’ils éprouvent l’un pour
l’autre se laissent déborder jusqu’à l’incompréhensible.
Entre ces moments d’opposition souvent violente, de
courts échanges ponctuent le déroulement de l’histoire ;
et les protagonistes deviennent alors tous deux des
personnages à la Beckett, perdus dans un no man’s land
et où ils s’agitent comme des fantômes.
Un spectacle qui débusque et attise les questions qui
fâchent pour tenter de se mettre à la hauteur de cette
phrase de Kafka à propos de la mission d’une oeuvre :
« être la hache qui rompt la mer gelée en nous ». Après
l’éblouissant Sans Aile et sans Racine, voici le nouveau
face-à-face de Hamadi avec les radicalismes violents.

Distribution

Texte et mise en scène : Hamadi / Avec Soufian El Boubsi & Eno Krojanker / Scénographie : Olivier Wiame / Création lumières et vidéo : Fred Niçaise

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Lundi 18 février 2019, par Jean Campion

On ne peut plus se voiler la face

Depuis une trentaine d’années, Hamadi El Boubsi creuse les questions de mémoire et de transmission, d’abord dans des contes, puis dans des pièces de théâtre. Né dans un petit village au nord du Maroc, il vit depuis plus d’un demi-siècle en Belgique. Aussi il refuse d’être réduit au simple rôle de témoin : "Je suis un acteur d’une citoyenneté à inventer, en tenant compte de la multiplicité des regards." Dans "Papa est en voyage" (2008), Hamadi évoque son exil. Sans emphase ni moralisme. Il nous plonge dans un climat apaisant, pour nous faire ressentir la détresse de l’enfant déraciné et les difficultés de l’homme tiraillé entre deux cultures. "Sans ailes et sans racines" (2009) voit s’affronter un père attaché aux valeurs démocratiques et un fils, né en Belgique, prêt à se laisser séduire par une religion dangereusement sectaire. Sur un ton plus polémique, "Comme la hache qui rompt la mer gelée en nous" incite les minorités à se serrer les coudes, pour tenter d’endiguer la vague populiste, qui s’abat sur une Europe anesthésiée.

Deux jeunes adultes se sont donné rendez-vous dans un endroit indéterminé. Pour parler. L’auteur ne leur attribue ni nom ni prénom. Ces trentenaires, qui vivent à Bruxelles, aiment se mettre en boîte. Leurs chamailleries nous révèlent que "l’un" est arabe et "l’autre" juif. A certains moments, les préjugés rendent les échanges plus explosifs. L’Arabe se révolte contre des a-priori. Pourquoi stigmatise-t- on "les" bicots, "les" bougnouls", "les" melons, "les" noirs et jamais "les" blancs ? Le Juif, qui en a marre de tout, se rebiffe contre les grands, "ces loups qui nous prennent pour des moutons". Tous deux haïssent ce charognard de Trump. Mais l’un surprend l’autre, en avouant qu’il se taperait bien sa poule de luxe : "Faut rêver plus haut que soi, mon vieux".

La conversation flottante se durcit brutalement. Avec virulence, l’Arabe dénonce la montée des populistes en Autriche, en Hongrie, en Pologne... Une peste brune qui se propage également en Belgique. Comment réagir face au repli identitaire, au racisme décomplexé, à la renaissance du fascisme ? Les minorités sont-elles capables de s’allier contre un ennemi commun, qui se joue de leurs disputes ? En annonçant qu’il a kidnappé un "bekemde vlaming", chef d’un parti xénophobe, l’Arabe entraîne le Juif dans son combat. D’abord sceptique, celui-ci se réjouit de cet enlèvement méticuleusement préparé. Mais la menace, que représente le politicien ligoté, provoque des échanges de plus en plus tendus. Pas de concessions. L’un se bat rageusement contre la peur paralysante. L’autre se défoule, panique, puis se rebelle. Des affrontements à coeur ouvert et à revolver braqué.

On s’interroge sur l’issue de l’intrique, mais la pièce n’est pas un polar à suspense. Elle vise avant tout à faire entendre la colère, les craintes et le désarroi de minorités issues de l’immigration. En préambule, les protagonistes sont bombardés d’images de violence et de haine. Même si chacun avoue aimer la soeur de l’autre et se confie brièvement dans un aparté, on cerne difficilement leur personnalité et leurs liens. Ils sont les porte-parole d’un auteur indigné par l’apathie d’une société, qui se voile la face. Pour respecter les tics des jeunes d’aujourd’hui, celui-ci truffe leurs répliques de "bordel" et de "putain", mais c’est bien son style cinglant et maîtrisé qui leur donne du punch.

Une puissance remarquablement exploitée par deux comédiens impressionnants. Lucide, convaincu, agressif, inquiétant, Soufian El Boubsi mène le jeu avec fougue et domine le duo. Dans le rôle du Juif, Eno Krajanker montre que ce jeune défaitiste est capable de surmonter sa trouille pour, lui aussi, se révolter. Angoissé par les bégaiements de l’histoire, Hamadi lutte farouchement contre un parti politique qui, divisant pour régner, excite l’antagonisme entre les minorités. En se parlant, en remuant ce qui fâche, ses héros amorcent le dégel des idées toutes faites. Celles qui entretiennent la peur de l’Autre. Cependant cette confrontation tumultueuse débouche parfois sur une certaine confusion. Contrairement à "Sans ailes et sans racines", qui distingue nettement deux visions du monde. Après s’être dit avec conviction leurs vérités, les personnages de "Comme la hache qui rompt la mer gelée" ressemblent à Vladimir et Estragon, les héros de Beckett. Ils attendent.

Jean Campion

Théâtre de Poche