Vendredi 12 avril 2019, par Didier Béclard

Chorégraphies coréennes

Il y a deux ans, le Théâtre Varia proposait une immersion dans l’univers de la danse contemporaine coréenne. Aujourd’hui, l’expérience est reconduite, en partenariat avec le Centre culturel coréen de Bruxelles, avec une soirée composée de trois pièces en première belge. Nous avons rencontré les trois chorégraphes coréens.


SOMOO

Dans « Somoo », la chorégraphe Bora Kim, dont la compagnie Art Project Bora a pour particularité de mixer les disciplines en un langage contemporain, utilise le corps féminin comme une structure visuelle. Décomposition du mouvement, confrontation de corps, transformation progressive du geste : « Somoo » brise les frontières dans un art qui demeure perpétuellement en lien avec le public. « Il y a un aspect social dans les spectacles traditionnels coréens qui n’attribuent qu’un rôle limité et restreint aux femmes avec des costumes et des instruments à cordes, explique la chorégraphe. Il y a plusieurs masques mais uniquement des hommes. Un seul rôle est dévolu à une femme à l’époque. Notre génération ne laisse pas de place pour les femmes. »

Bora Kim revendique le côté militant de « Somoo » : « le concept comprend aussi l’activisme féministe. Les gestes aussi, à l’intérieur du corps, il y a une zone dans le bas du dos où il y a de l’eau qui est peut-être l’origine de la vie mais aussi le concept du féminisme militant. Dans un ancien spectacle, il y a plus d’explications sur le rôle du masque féminin. Elle séduit un moine assez vieux, elle se comporte comme un objet, expose son corps nu. Le cliché de la limitation imposée aux femmes inspirée par le masque est un élément qui m’a donné l’inspiration. Il n’y a pas de rapport avec mon spectacle où il n’y a pas de rôle restreint mais plutôt la puissance militante des femmes. »

Bora Kim entend exprimer le contraste entre la sexualité corporelle et la sexualité sociale. L’idée est de subjectiver la femme en tant que telle par opposition à l’objectivation qu’en fait la société. Il s’agit de montrer que le rôle des femmes peut évoluer.


Equilibrium

Jaeyong Lee et la compagnie Siga proposent « Equilibrium », un duo au masculin, où deux corps sondent sans fin le cycle entre l’équilibre et le chaos, métaphore de la condition humaine, avec ses disparités et discriminations. Méticuleuse, dynamique, d’une grande pureté, la danse portée suscite ce qu’il faut d’échos pour se rendre accessible. « Ce qui m’a le plus influencé, c’est un spectacle avec des masques traditionnels. En étudiant ce spectacle, j’ai découvert la vie quotidienne de cette époque, déclare le chorégraphe. Les époques sont différentes mais il reste des choses communes entre aujourd’hui et jadis. C’est une réinterprétation du spectacle ancien à l’époque où il existait un art folklorique pour les paysans et un autre art pour les riches. Les masques permettent de tout dire, de tout ridiculiser, de devenir n’importe qui. Cette liberté permet de souffler. »

Pour « Equilibrium », Jaeyong Lee a travaillé sur la visualisation de l’équilibre. « Dans la vie en société, explique-t-il, il y a toujours des rencontres, des choses différentes auxquelles nous sommes confrontés avec force, puissance si pas violence. L’équilibre est rompu mais les choses s’adaptent jusqu’à revenir à l’équilibre dans une autre forme de violence. Tout se passe dans la continuité mais les choses ne restent pas à la même place, elles évoluent pour retrouver l’équilibre. »


Haetal

C’est encore la Cie Siga qui propose « Haetal », synonyme, en coréen, de nirvana ou vimutti chez les bouddhistes. Inspirée du théâtre traditionnel coréen, à la fois dansé et masqué, la pièce chorégraphiée par Ji-hyeong An expose la multiplicité des identités possibles. « La pièce s’inspire d’un spectacle ancien dans lequel un moine abandonne sa vie religieuse pour fréquenter des femmes, dit le chorégraphe. Les dialogues y sont ridicules et amusants, nous l’avons adapté à la modernité. Il y a beaucoup de vie, de violence. Le concept de « Haetal » est d’oublier cette violence le temps du spectacle, on va s’amuser ensemble sans violence. »

Le spectacle ancien auquel il fait référence date d’il y 300 ou 400 ans, au temps de la dynastie Chosun, la dernière avant la république de Corée. Ji-hyeong ajoute : « il y a plusieurs sortes de spectacles avec des masques. Ici, il s’inspire d’un spectacle d’une région où les acteurs étaient les habitants du village. Il y a là une atmosphère particulière due au fait ce ne sont pas des acteurs professionnels. »

Didier Béclard