Mercredi 22 décembre 2010, par Jean Campion

Baffie a écrit une excellente comédie. Et toc !

"Laurent Baffie est un sale gosse." Ce titre, que l’humoriste a donné au one-man-show, qu’il joue actuellement à Paris, confirme son goût de l’autodérision. La grossièreté des sketches écrits pour Jean-Marie Bigard, l’impertinence des micro-trottoirs et la causticité de ses interventions dans les émissions de radio et de télévision lui ont valu de nombreux détracteurs. Cependant dans "Toc toc", il s’attaque à un sujet scabreux, sans provocation ni cruauté. Astucieusement construite, cette comédie nous réjouit par son humour pétillant, tendre et désarmant.

Poussé par sa femme, que son obsession de tout chiffrer exaspère, Vincent est venu consulter le docteur Stern, un neuropsychiatre réputé. Dans la salle d’attente, il se sent injurié par Fred. En réalité, celui-ci est un homme policé, qui souffre de la maladie de Gilles de la Tourette : il est incapable de réprimer les grossièretés et les gestes obscènes. Leurs tocs les rendent complices et ils accueillent avec cordialité les autres patients. Marie a la manie de tout vérifier. Elle craint constamment de ne pas avoir fermé l’eau, le gaz ou l’électricité. Blanche est nosophobe. Dès qu’elle quitte son laboratoire aseptisé, elle traque les microbes et désinfecte tout ce qu’elle touche. Fasciné par la symétrie, Bob adore son prénom, qui contient deux B en équilibre. On comprend qu’il a choisi comme banque : AXA. Atteinte de paliphrasie, Lili ne peut s’empêcher de répéter une deuxième fois ce qu’elle vient de dire.

Comme le docteur Stern se fait désespérément attendre, la confrontation entre les malades se prolonge et provoque des situations explosives. L’auteur exploite efficacement leur cocasserie, sans négliger la détresse de ces maniaques. On éclate de rire à chaque expression ordurière lâchée par Fred, mais Pascal Racan nous fait sentir, avec une émotion contenue, le désarroi de son personnage digne, délicat, marginalisé par sa déviance. Quand Lili, incarnée par Anna Cervinka, serre les lèvres, pour empêcher une répétition de sortir, on soutient ses courageux efforts. On ne peut pas réduire Marie à ses signes de croix de bigote effarouchée, Blanche à ses mines écoeurées et Bob à ses acrobaties ridicules. Colette Emmanuelle, Laure Godisiabois et Simon Wauters leur donnent une dimension humaine, qui ressort, lors de la thérapie de groupe.

Pour imprimer à sa comédie un rythme alerte (malheureusement cassé par un entracte injustifié), Laurent Baffie s’appuie sur Vincent, le chauffeur de taxi , qui par sa g{{}}ouaille et son sens de la répartie relance les échanges. Metteur en scène du spectacle, Daniel Hanssens joue aussi ce rôle d’animateur. C’est lui qui offusque Marie par ses taquineries, qui commente ironiquement la partie de Monopoly et qui trahit son humanité, en devenant agressif. Très vite, cependant, ce brave type regrette d’avoir rompu le pacte de tolérance.

Paradoxalement, le "méchant" Baffie nous fait assister à un huis clos, qui suscite des sentiments bienveillants. Désireux de guérir, ces solitaires, prisonniers de leur toc, vont se sentir interpellés par les autres. Des autres qui les incitent à sortir de leur coquille, pour partager leur difficulté de vivre.