Vendredi 6 mars 2020, par Didier Béclard

La vieillesse est un naufrage

« Home » met en scène trois personnages dans un huis clos au quotidien entre les quatre murs d’une maison de repos pour personnes âgées. Tranches de vie sans relief mais au détails pointus et criants de vérité emplies d’une humanité qui mène à la ruine.

Depuis 2015, le Festival de Liège ajoute à son rythme biennal un rendez-vous annuel. Sorte de festival dans le festival, le Festival Factory est un laboratoire qui permet à des artistes émergents de montrer des projets en cours de création, à différents stades de leur développement – recherche en cours, étape de travail ou projet abouti - pour une première confrontation au public.

Pour sa sixième édition, Factory propose sur quatre jours six spectacles, trois étapes de travail et trois présentations de projets. Tous les spectacles sont inédits à l’exception de Hormis « Un loup pour l’homme » de Violette Pallaro et « Carnage » d’Hélène Beutin et Clément Goethals que l’on a pu voir respectivement au Théâtre National et au Varia.


Dans la catégorie des spectacles aboutis, l’on trouve notamment « Home » mis en scène par Magrit Coulon avec trois acteurs Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels, jeunes artistes à peine sortis de l’Insas qui ont développé leur projet de fin d’études.

Une pièce au sol blanc inondée d’une lumière crue et meublée de mobilier désuet sans âme : une table, trois chaises, un tabouret avec une « radiocassette » juste à côté d’un fauteuil élimé, un piano et une horloge qui égrène les minutes d’un tic-tac obsédant. Le temps s’étire, lorsqu’on surveille le temps, il passe toujours très lentement. Un homme immobile regarde au travers des rideaux tandis qu’une dame assise à la table aligne les grimaces. Ils sont rejoints par une autre dame qui, appuyée sur sa tribune, qui traverse la pièce à grand peine. Un pause, un soupir, elle reprend son calvaire et parvient au fauteuil où elle prend place, sans précipitation.


Aucune parole prononcée, tout n’est que geste et occupation de l’espace. Dans ce silence pesant, les pensionnaires partagent leur « temps intérieur », le rythme d’un corps lourd, gêné, empêché, même dans les gestes les plus simples. Une voix rompt le silence pour chanter, dire des choses sans intérêt particulier. Mais ces sons ont mis tellement de temps à sortir qu’ils en prennent une signification et une netteté disproportionnée. Les trois résidents vivent, affrontent les joies, les déceptions et les tragédies de leur quotidien sans relief dans lequel le moindre fait prend des allures d’événement.

Pour réaliser cette pièce qui s’inscrit dans la lignée du théâtre documentaire, les artistes ont glané des voix, des sons, au sein d’une maison de retraite médicalisée à Ixelles. Ils ont également méticuleusement travaillé sur la physicalité des corps jusque dans les moindres détails des doigts de la main qui tremble, des jambes lourdes et encombrantes, des regards absents, des visages sans expression. Les « vieux » continuent à exister, à vivre, dans une fuite inexorable du temps qui mène à la déglingue.

Didier Béclard

« Home » de Magrit Coulon avec Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels, dans le cadre du Festival Factory jusqu’au 7 mars au Manège de la Caserne Fonck, 0497/606.402, www.festivaldeliege.be.
Photos : Goldo, Festival de Liège